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Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/95

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— Vous… vous m’avez tellement stupéfié… bégaya Stépan Trophimovitch, — que je ne vous crois pas…

Lipoutine n’eut pas l’air de l’avoir entendu.

— Non, notez encore ceci, poursuivit-il, il fallait qu’elle fût joliment inquiète et agitée pour avoir adressé, elle si grande dame, une pareille question à un homme comme moi, et pour s’être abaissée même jusqu’à me demander le secret. Qu’est-ce qu’il y a donc ? Aurait-on appris quelque nouvelle inattendue concernant Nicolas Vsévolodovitch ?

— Je ne sais… aucune nouvelle… je n’ai pas vu Barbara Pétrovna depuis plusieurs jours… balbutia Stépan Trophimovitch, qui évidemment avait peine à renouer le fil des ses idées, — mais je vous ferai observer, Lipoutine… je vous ferai observer que, si l’on vous a parlé en confidence, et qu’à présent devant tout le monde vous…

— Tout à fait en confidence ! Que la foudre me frappe si je mens ! Voilà si je… Mais puisque c’est ici… eh bien, qu’est-ce que cela fait ? Voyons, nous tous, ici présents, y compris même Alexis Nilitch, est-ce que nous sommes des étrangers ?

— Je ne partage pas cette manière de voir ; sans doute, nous sommes ici trois qui garderons le silence, mais pour ce qui est de vous, je ne crois pas du tout à votre discrétion.

— Que dites-vous donc ? Je suis plus intéressé que personne à me taire, puisqu’on m’a promis une reconnaissance éternelle ! Et, tenez, je voulais justement, à ce propos, vous signaler un cas extrêmement étrange, plutôt psychologique, pour ainsi dire, que simplement étrange. Hier soir, encore tout remué par mon entretien avec Barbara Pétrovna (vous pouvez vous figurer vous-même quelle impression il a produite sur moi), je questionnai Alexis Nilitch : Vous avez connu, lui dis-je, Nicolas Vsévolodovitch tant à l’étranger qu’à Pétersbourg, comment le trouvez-vous sous le rapport de l’esprit et des facultés ? Il me répond laconiquement, à sa manière, que c’est un homme d’un esprit fin et d’un jugement