Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/13

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— Eh bien, c’est là ce qui vous fait peur ?

— Il ne s’agit pas de la hache… du reste, je n’ai pas peur, mais cette affaire… c’est une affaire telle, il y a ici des circonstances…

— Lesquelles ? Parce que cela a été apporté à la fabrique ? Hé, hé. Mais, vous savez, bientôt les ouvriers de cette fabrique rédigeront eux-mêmes des proclamations.

— Comment cela ? demanda sévèrement Von Lembke.

— C’est ainsi. Ayez l’œil sur eux. Vous êtes un homme trop mou, André Antonovitch ; vous écrivez des romans. Or, ici, il faudrait procéder à l’ancienne manière.

— Comment, à l’ancienne manière ? Que me conseillez-vous ? On a nettoyé la fabrique, j’ai donné des ordres, et ils ont été exécutés.

— Mais les ouvriers s’agitent. Vous devriez les faire fustiger tous, ce serait une affaire finie.

— Ils s’agitent ? C’est une absurdité ; j’ai donné des ordres, et l’on a désinfecté la fabrique.

— Eh ! André Antonovitch, vous êtes un homme mou !

— D’abord je suis loin d’être aussi mou que vous le dites, et ensuite… répliqua Von Lembke froissé. Il ne se prêtait à cette conversation qu’avec répugnance et seulement dans l’espoir que le jeune homme lui dirait quelque chose de nouveau.

— A-ah ! encore une vieille connaissance ! interrompit Pierre Stépanovitch en dirigeant ses regards vers un autre document placé sous un presse-papier ; c’était une petite feuille qui ressemblait aussi à une proclamation et qui avait été évidemment imprimée à l’étranger, mais elle était en vers ; — celle-là, je la sais par coeur : _Une personnalité éclairée ! _ Voyons un peu ; en effet, c’est la _Personnalité éclairée._ J’étais encore à l’étranger quand j’ai fait la connaissance de cette personnalité. Où l’avez-vous dénichée ?

— Vous dites que vous l’avez vue à l’étranger ? demanda vivement Von Lembke.

— Oui, il y a de cela quatre mois, peut-être même cinq.