Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/31

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devoir d’agir. Au contraire, vous manqueriez aux obligations de votre charge si vous vous montriez indulgent pour le vrai coupable.

— Julie Mikhaïlovna ! Décampe, Blum ! cria tout à coup Von Lembke qui avait entendu la voix de sa femme dans la pièce voisine.

Blum frissonna, mais il tint bon.

— Autorisez-moi donc, autorisez-moi, insista-t-il en pressant ses deux mains contre sa poitrine.

— Décampe ! répéta en grinçant des dents André Antonovitch, — fais ce que tu veux… plus tard… Ô mon Dieu !

La portière se souleva, et Julie Mikhaïlovna parut. Elle s’arrêta majestueusement à la vue de Blum qu’elle toisa d’un regard dédaigneux et offensé, comme si la seule présence de cet homme en pareil lieu eût été une insulte pour elle. Sans rien dire, l’employé s’inclina profondément devant la gouvernante ; puis, le corps plié en deux, il se dirigea vers la porte en marchant sur la pointe des pieds et en écartant un peu les bras.

Blum interpréta-t-il comme une autorisation formelle la dernière parole échappée à l’impatience de Von Lembke, ou bien ce trop zélé serviteur crut-il pouvoir prendre sous sa propre responsabilité une mesure qui lui paraissait impérieusement recommandée par l’intérêt de son patron ? quoi qu’il en soit, comme nous le verrons plus loin, de cet entretien du gouverneur avec son subordonné résulta une chose fort inattendue qui fit scandale, suscita maintes railleries et exaspéra Julie Mikhaïlovna, bref, une chose qui eut pour effet de dérouter définitivement André Antonovitch, en le jetant, au moment le plus critique, dans la plus lamentable irrésolution.