Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/367

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nombre de gens, lesquels depuis quelque temps déjà l’observaient et paraissaient s’entretenir de lui. Ils causaient aussi de l’incendie du Zariétchié ; le propriétaire du chariot et de la vache, arrivant de la ville, parlait plus qu’aucun autre. On disait que le sinistre était dû à la malveillance, que les incendiaires étaient des ouvriers de l’usine Chpigouline.

« C’est singulier », pensa Stépan Trophimovitch, « il ne m’a pas soufflé un mot de l’incendie pendant la route, et il a parlé de tout. »

— Batuchka, Stépan Trophimovitch, est-ce vous que je vois, monsieur ? Voilà une surprise !… Est-ce que vous ne me reconnaissez pas ? s’écria un homme âgé qui rappelait le type du domestique serf d’autrefois ; il avait le visage rasé et portait un manteau à long collet. Stépan Trophimovitch eut peur en entendant prononcer son nom.

— Excusez-moi, balbutia-t-il, — je ne vous remets pas du tout…

— Vous ne vous souvenez pas de moi ? Mais je suis Anisim Ivanoff. J’étais au service de feu M. Gaganoff, et que de fois, monsieur, je vous ai vu avec Barbara Pétrovna chez la défunte Avdotia Serguievna ! Elle m’envoyait vous porter des livres, et deux fois je vous ai remis de sa part des bonbons de Pétersbourg…

— Ah ! oui, je te reconnais, Anisim, fit en souriant Stépan Trophimovitch. — Tu demeures donc ici ?

— Dans le voisinage de Spassoff, près du monastère de V…, chez Marfa Serguievna, la sœur d’Avdotia Serguievna, vous ne l’avez peut-être pas oubliée ; elle s’est cassé la jambe en sautant à bas de sa voiture un jour qu’elle se rendait au bal. Maintenant elle habite près du monastère, et je reste chez elle. Voyez-vous, si je me trouve ici en ce moment, c’est que je suis venu voir des proches…

— Eh bien, oui, eh bien, oui.

— Je suis bien aise de vous rencontrer, vous étiez gentil pour moi, poursuivit avec un joyeux sourire