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viii
AVERTISSEMENT.

bien dur ! » On appréciera ce qu’une telle contention ajoute d’épouvante à l’horreur des choses dépeintes.

Ah ! il faudra bander ses nerfs et cuirasser son cœur pour achever quelques-unes de ces pages ! Jamais plus âpre réalisme n’a travaillé sur des sujets plus repoussants. Ressuscitez les pires visions de Dante, rappelez vous, si vous avez pratiqué cette littérature, le Malleus maleficorum, les procès-verbaux de questions extraordinaires rapportés par Llorente, vous serez encore mal préparé à lecture de certains chapitres ; néanmoins, je conseille aux dégoûtés d’avoir bon courage et d’attendre l’impression d’ensemble ; ils seront étonnés de trouver cette impression consolante, presque douce. Voici, je crois, le secret de cette apparente contradiction.

À son entrée au bagne, l’infortuné se replie sur lui-même : du monde ignoble où il est précipité, il n’attend que désespoir et scandale. Mais peu à peu, il regarde dans son âme et dans les âmes qui l’entourent, avec la minutieuse patience d’un prisonnier. Il s’aperçoit que la fatigue physique est saine, que la souffrance morale est salutaire, qu’elle fait germer en lui d’humbles petites fleurs aux bons parfums, la semence de vertu qui ne levait pas au temps du bonheur. Surtout il examine de très-près ses grossiers compagnons ; et voici que, sous les physionomies les plus sombres, un rayon transparaît qui les embellit et les réchauffe. C’est l’accoutumance d’un homme jeté dans les ténèbres : il apprend à voir, et jouit vivement des pâles clartés reconquises. Chez toutes ces bêtes fauves qui l’effrayaient