Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/157

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vieux chiffons. Il s’assit à côté d’Isaï Fomitch et lui frappa sur l’épaule.

— Eh ! cher ami, voilà six ans que je t’attends. Regarde un peu, me donneras-tu beaucoup de cette marchandise ?

Et il étala devant lui ses haillons.

Isaï Fomitch était d’une timidité si grande, qu’il n’osait pas regarder cette foule railleuse, aux visages mutilés et effrayants, groupée en cercle compacte autour de lui. Il n’avait pu encore prononcer une parole, tant il avait peur. Quand il vit le gage qu’on lui présentait, il tressaillit et il se mit hardiment à palper les haillons. Il s’approcha même de la lumière. Chacun attendait ce qu’il allait dire.

— Eh bien ! est-ce que tu ne veux pas me donner un rouble d’argent ? Ça vaut cela pourtant ! continua l’emprunteur, en clignant de l’œil du côté d’Isaï Fomitch.

— Un rouble d’argent, non ! mais bien sept kopeks !

Ce furent les premiers mots prononcés par Isaï Fomitch à la maison de force. Un rire homérique s’éleva parmi les assistants.

— Sept kopeks ! Eh bien, donne-les : tu as du bonheur, ma foi. Fais attention au moins à mon gage, tu m’en réponds sur ta tête !

— Avec trois kopeks d’intérêt, cela fera dix kopeks à me payer, dit le Juif d’une voix saccadée et tremblante, en glissant sa main dans sa poche pour en tirer la somme convenue et en scrutant les forçats d’un regard craintif. Il avait horriblement peur, mais l’envie de conclure une bonne affaire l’emporta.

— Hein, trois kopeks d’intérêt… par an ?

— Non ! pas par an… par mois.

— Tu es diablement chiche ! Comme t’appelle-t-on ?

— Isaï Fomitz .