Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/168

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prêter des habits de femme pour la représentation. On espérait même, par l’entremise d’un brosseur, obtenir un uniforme d’officier avec des aiguillettes. Pourvu seulement que le major ne s’avisât pas d’interdire le spectacle comme l’année précédente ! Il était alors de mauvaise humeur parce qu’il avait perdu au jeu, et puis il y avait eu du grabuge dans la maison de force ; aussi avait-il tout défendu dans un accès de mécontentement. Cette année peut-être, il ne voudrait pas empêcher la représentation. Baklouchine était exalté : on voyait bien qu’il était un des principaux instigateurs du futur théâtre ; je me promis d’assister à ce spectacle. La joie ingénue que Baklouchine manifestait en parlant de cette entreprise me toucha. De fil en aiguille nous en vînmes à causer à cœur ouvert. Il me dit entre autres choses qu’il n’avait pas seulement servi à Pétersbourg ; on l’avait envoyé à R… avec le grade de sous-officier, dans un bataillon de garnison.

— C’est de là qu’on m’a expédié ici, ajouta Baklouchine.

— Et pourquoi ? lui demandai-je.

— Pourquoi ? vous ne devineriez pas, Alexandre Pétrovitch. Parce que je fus amoureux.

— Allons donc ! on n’exile pas encore pour ce motif, répliquai-je en riant.

— Il est vrai de dire, reprit Baklouchine, qu’à cause de cela j’ai tué là-bas un Allemand d’un coup de pistolet. Mais était-ce bien la peine de m’envoyer aux travaux forcés pour un Allemand ? Je vous en fais juge.

— Comment cela est-il arrivé ? Racontez-moi l’histoire, elle doit être curieuse.

— Une drôle d’histoire, Alexandre Pétrovitch !

— Tant mieux. Racontez.

— Vous le voulez ? Eh bien, écoutez…

Et j’entendis l’histoire d’un meurtre : elle n’était pas « drôle », mais en vérité fort étrange…

— Voici l’affaire, commença Baklouchine. — On m’avait