sa vieillesse ; il l’aimait depuis longtemps, à ce qu’elle disait, et caressait cette idée depuis des années, mais il l’avait tue et ne se décidait jamais à parler. — Tu vois, Sacha, me dit-elle, que c’est mon bonheur, car il est riche ; voudrais-tu donc me priver de mon bonheur ? Je la regarde, elle pleure, m’embrasse, m’étreint…
— Eh ! me dis-je, elle a raison ! Quel bénéfice d’épouser un soldat, même un sous-officier ? — Allons, adieu, Louisa, Dieu te protège ! je n’ai pas le droit de te priver de ton bonheur. Et comment est-il de sa personne ? est-il joli ? — Non, il est âgé, et puis il a un long nez. — Elle pouffa même de rire. Je la quittai : Allons, ce n’était pas ma destinée, pensé-je. Le lendemain je passe près du magasin de Schultz (elle m’avait indiqué la rue où il demeurait). Je regarde par le vitrage : je vois un Allemand qui arrange une montre. — Quarante-cinq ans, un nez aquilin, des yeux bombés, un frac à collet droit, très-haut. Je crachai de mépris en le voyant : à ce moment-là, j’étais prêt à casser les vitres de sa devanture… À quoi bon ? pensais-je. Il n’y a plus rien à faire, c’est fini et bien fini… J’arrive à la caserne à la nuit tombante, je m’étends sur ma couchette et, le croirez-vous, Alexandre Pétrovitch ? je me mets à sangloter, à sangloter…
Un jour se passe, puis un second, un troisième… Je ne vois plus Louisa. J’avais pourtant appris d’une vieille commère (blanchisseuse aussi, chez laquelle mon amante allait quelquefois) que cet Allemand connaissait notre amour, et que pour cette raison il s’était décidé à l’épouser le plus tôt possible. Sans quoi il aurait attendu encore deux ans. Il avait forcé Louisa à jurer qu’elle ne me verrait plus ; il parait qu’à cause de moi, il serrait les cordons de sa bourse et qu’il les tenait dur toutes deux, la tante et Louisa. Peut-être changerait-il encore d’idée, car il n’était pas résolu. Elle me dit aussi qu’il les avait invitées à prendre le café chez lui le surlendemain, — un dimanche, et qu’il