Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/220

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entendu dire que les détenus n’avaient pas assez de louanges pour leurs docteurs. « Ce sont de vrais pères ! » me dirent-ils en parlant d’eux, quand j’entrai à l’hôpital. Nous nous déshabillâmes pour revêtir un autre costume. On nous enleva les habits et le linge que nous avions en arrivant, et l’on nous donna du linge de l’hôpital, auquel on ajouta de longs bas, des pantoufles, des bonnets de coton et une robe de chambre d’un drap brun très-épais, qui était doublée non pas de toile, mais bien plutôt d’emplâtres : cette robe de chambre était horriblement sale, mais je compris bientôt toute son utilité. On nous conduisit ensuite dans les salles des forçats qui se trouvaient au bout d’un long corridor, très-élevé et fort propre. La propreté extérieure était très-satisfaisante ; tout ce qui était visible reluisait : du moins cela me sembla ainsi après la saleté de notre maison de force. Les deux prévenus entrèrent dans la salle qui se trouvait à gauche du corridor, tandis que j’allai à droite. Devant la porte fermée au cadenas se promenait une sentinelle, le fusil sur l’épaule ; non loin d’elle, veillait son remplaçant. Le sergent (de la garde de l’hôpital) ordonna de me laisser passer. Soudain je me trouvai au milieu d’une chambre longue et étroite ; le long des murailles étaient rangés des lits au nombre de vingt-deux. Trois ou quatre d’entre eux étaient encore inoccupés. Ces lits de bois étaient peints en vert, et devaient comme tous les lits d’hôpital, bien connus dans toute la Russie, être habités par des punaises. Je m’établis dans un coin, du côté des fenêtres.

Il n’y avait que peu de détenus dangereusement malades, et alités ; pour la plupart convalescents ou légèrement indisposés, mes nouveaux camarades étaient étendus sur leurs couchettes ou se promenaient en long et en large ; entre les deux rangées de lits, l’espace était suffisant pour leurs allées et venues. L’air de la salle était étouffant, avec l’odeur particulière aux hôpitaux : il était infecté par