Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/227

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aux verges qui avaient subi leur punition venaient directement à l’hôpital, le dos encore sanglant ; comme on les soignait avec des compresses ou des épithèmes, la robe de chambre qu’ils revêtaient sur la chemise humide prenait et gardait tout. Pendant tout mon temps de travaux forcés, chaque fois que je devais me rendre à l’hôpital (ce qui arrivait souvent) j’enfilais toujours avec une défiance craintive la robe de chambre que l’on me délivrait.

Dès que Tchékounof m’eut servi mon thé (par parenthèses, je dirai que l’eau de notre salle, apportée pour toute la journée, se corrompait vite sous l’influence de l’air fétide), la porte s’ouvrit, et le soldat qui venait de recevoir les verges fut introduit sous double escorte. Je voyais pour la première fois un homme qui venait d’être fouetté. Plus tard, on en amenait souvent, on les apportait même quand la punition était trop forte : chaque fois cela procurait une grande distraction aux malades. On accueillait ces malheureux avec une expression de gravité composée : la réception qu’on leur faisait dépendait presque toujours de l’importance du crime commis, et par conséquent du nombre de verges reçues. Les condamnés les plus cruellement fouettés et qui avaient une réputation de bandits consommés jouissaient de plus de respect et d’attention qu’un simple déserteur, une recrue, comme celui qu’on venait d’amener. Pourtant, ni dans l’un ni dans l’autre cas on ne manifestait de sympathie particulière ; on s’abstenait aussi de remarques irritantes : on soignait le malheureux en silence, et on l’aidait à se guérir, surtout s’il était incapable de se soigner lui-même. Les feldschers eux-mêmes savaient qu’ils remettaient les patients entre des mains adroites et exercées. La médication usuelle consistait à appliquer très-souvent sur le dos du fouetté une chemise ou un drap trempé dans de l’eau froide ; il fallait encore retirer adroitement des plaies les échardes laissées par les verges qui s’étaient cassées sur le dos du condamné. Cette dernière opération était particulièrement