Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/264

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jamais les prescriptions des docteurs et ne prenaient point de médicaments, tandis qu’en général les malades exécutaient ponctuellement les ordonnances ; ils prenaient leurs mixtures, leurs poudres ; en un mot, ils aimaient à se soigner, mais ils préféraient les remèdes externes ; les ventouses, les sangsues, les cataplasmes, les saignées, pour lesquelles le peuple nourrit une confiance si aveugle, étaient en grand honneur dans notre hôpital : on les endurait même avec plaisir. Un fait étrange m’intéressait fort : des gens qui supportaient sans se plaindre les horribles douleurs causées par les baguettes et les verges, se lamentaient, grimaçaient et gémissaient pour le moindre bobo, une ventouse qu’on leur appliquait. Je ne puis dire s’ils jouaient la comédie. Nous avions des ventouses d’une espèce particulière. Comme la machine avec laquelle on pratique des incisions instantanées dans la peau était gâtée, on devait se servir de la lancette. Pour une ventouse, il faut faire douze incisions, qui ne sont nullement douloureuses si l’on emploie une machine, car elle les pratique instantanément ; avec la lancette, c’est une tout autre affaire, elle ne coupe que lentement et fait souffrir le patient ; si l’on doit poser dix ventouses, cela fait cent vingt piqûres qui sont très-douloureuses. Je l’ai éprouvé moi-même ; outre le mal, cela irritait et agaçait ; mais la souffrance n’était pas si grande qu’on ne pût contenir ses gémissements. C’était risible de voir de solides gaillards se crisper et hurler. Ou aurait pu les comparer à certains hommes qui sont fermes et calmes quand il s’agit d’une affaire importante, mais qui, à la maison, deviennent capricieux et montrent de l’humeur pour un rien, parce qu’on ne sert pas leur dîner ; ils récriminent et jurent : rien ne leur va, tout le monde les fâche, les offense ; — en un mot, le bien-être les rend inquiets et taquins ; de pareils caractères, assez communs dans le menu peuple, n’étaient que trop nombreux dans notre prison, à cause de la cohabitation forcée. Parfois, les détenus raillaient