Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/315

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assura qu’il était indispensable d’avoir un bouc à l’écurie  ; ce n’était pourtant point là qu’il demeurait, mais bien à la cuisine ; et finalement il se trouva chez lui partout dans la prison. Ce gracieux animal était d’humeur folâtre, il sautait sur les tables, luttait avec les forçats, accourait quand on l’appelait, toujours gai et amusant. Un soir, le Lesghine Babaï, qui était assis sur le perron de la caserne au milieu d’une foule d’autres détenus, s’avisa de lutter avec Vaska, dont les cornes étaient passablement longues. Ils heurtèrent longtemps leurs fronts l’un contre l’autre, — ce qui était l’amusement favori des forçats ; — tout à coup Vaska sauta sur la marche la plus élevée du perron, et dès que Babaï se fut garé, il se leva brusquement sur ses pattes de derrière, ramena ses sabots contre son corps et frappa le Lesghine à la nuque de toutes ses forces, tant et si bien que celui-ci culbuta du perron, à la grande joie de tous les assistants et de Babaï lui-même. En un mot, nous adorions notre Vaska. Quand il atteignit l’âge de puberté, on lui fit subir, après une conférence générale et fort sérieuse, une opération que nos vétérinaires de la maison de force exécutaient à la perfection, « Au moins il ne sentira pas le bouc », dirent les détenus. Vaska se mit alors à engraisser d’une façon surprenante ; il faut dire qu’on le nourrissait à bouche que veux-tu. Il devint un très-beau bouc, avec de magnifiques cornes, et d’une grosseur remarquable ; il arrivait même quelquefois qu’il roulait lourdement à terre en marchant. Il nous accompagnait aussi aux travaux, ce qui égayait les forçats comme les passants, car tout le monde connaissait le Vaska de la maison de force. Si l’on travaillait au bord de l’eau, les détenus coupaient des branches de saule et du feuillage, cueillaient dans le fossé des fleurs pour en orner Vaska ; ils entrelaçaient des branches et des