Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/327

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quand on a fini sa tâche, on a faim : de la panse, ça ne vous rassasie guère.

— Quand on ne nous donne pas des boyaux, on nous bourre de saletés !

— C’est vrai, la nourriture ne vaut pas le diable.

— Il remplit ses poches, n’aie pas peur.

— Ce n’est pas ton affaire.

— Et de qui donc ? mon ventre est à moi. Si nous nous plaignions tous, vous verriez bien.

— Nous plaindre ?

— Oui.

— Avec ça qu’on ne nous a pas assez battu pour ces plaintes ! Buse que tu es !

— C’est vrai, ajoute un autre d’un air de mauvaise humeur ; — ce qui se fait vite n’est jamais bien fait. Eh bien ? de quoi te plaindras-tu, dis-le-nous d’abord.

— Je le dirai, parbleu. Si tout le monde y allait, j’irais aussi, car je crève de faim. C’est bon pour ceux qui mangent à part de rester assis, mais ceux qui mangent l’ordinaire…

— A-t-il des yeux perçants, cet envieux-la ! ses yeux brillent rien que de voir ce qui ne lui appartient pas.

— Eh bien, camarades, pourquoi ne nous décidons-nous pas ? Assez souffert : ils nous écorchent, les brigands ! Allons-y.

— À quoi bon ? il faudrait te mâcher les morceaux et te les fourrer dans la bouche, hein ! voyez-vous ce gaillard, il ne mangerait que ce qu’on voudrait bien lui mâcher. Nous sommes aux travaux forcés.

— Voilà la cause de tout.

— Et comme toujours, le peuple crève de faim, et les chefs se remplissent la bedaine.

— C’est vrai. Notre Huit-yeux a joliment engraissé. Il s’est acheté une paire de chevaux gris.

— Il n’aime pas boire, dit un forçat d’un ton ironique.

— Il s’est battu il y a quelque temps aux cartes avec le