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Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/329

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chez nous. Ceux dont je parle, chefs et instigateurs de révoltes, arrivent presque toujours à leur but, quitte à peupler par la suite les travaux forcés et les prisons. Grâce à leur impétuosité, ils ont toujours le dessous, mais c’est cette impétuosité qui leur donne de l’influence sur la masse : on les suit volontiers, car leur ardeur, leur honnête indignation agissent sur tout le monde : les plus irrésolus sont entraînés. Leur confiance aveugle dans le succès séduit même les sceptiques les plus endurcis, bien que souvent cette assurance qui en impose ait des fondements si incertains, si enfantins, que l’on s’étonne même qu’on ait pu y croire. Le secret de leur influence, c’est qu’ils marchent les premiers sans avoir peur de rien. Ils se jettent en avant la tête baissée, souvent sans même connaître ce qu’ils entreprennent, sans ce jésuitisme pratique grâce auquel souvent un homme abject et vil a gain de cause, atteint son but, et sort blanc d’un tonneau d’encre. Il faut qu’ils se brisent le crâne. Dans la vie ordinaire, ce sont des gens bilieux, irascibles, intolérants et dédaigneux, souvent même excessivement bornés, ce qui du reste fait aussi leur force. Le plus fâcheux, c’est qu’ils ne s’attaquent jamais à l’essentiel, à ce qui est important, ils s’arrêtent toujours à des détails, au lieu d’aller droit au but, ce qui les perd. Mais la masse les comprend, ils sont redoutables à cause de cela.

Je dois dire en quelques mots ce que signifie le mot : « grief. »

Quelques forçats avaient précisément été déportés pour un grief ; c’étaient les plus agités, entre autres un certain Martinof qui avait servi auparavant dans les hussards et qui, tout ardent, inquiet et colère qu’il fût, n’en était pas moins honnête et véridique. Un autre, Vassili Antonof, s’irritait et se montait à froid ; il avait un regard effronté avec un sourire sarcastique, mais il était aussi honnête et