Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/342

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et profondément croyant, d’une foi inébranlable en certaines espérances et convictions. Malgré toute son habileté pratique, il était en guerre ouverte avec B—ski et son ami T—ski.

Le premier, B—ski, était un homme malade, avec une prédisposition à la phtisie, irascible et nerveux, mais bon et généreux. Son irritabilité nerveuse le rendait capricieux comme un enfant : je ne pouvais supporter un caractère semblable, et je cessai de voir B—ski, sans toutefois cesser de l’aimer. C’était tout juste le contraire pour M—tski, avec lequel je ne me brouillai jamais, mais que je n’aimais pas. En rompant toutes relations avec B—ski, je dus rompre aussi avec T—ski, dont j’ai parlé dans le chapitre précédent, ce que je regrettai fort, car, s’il était peu instruit, il avait bon cœur ; c’était un excellent homme, très-courageux. Il aimait et respectait tant B—ski, il le vénérait si fort, que ceux qui rompaient avec son ami devenaient ses ennemis ; ainsi il se brouilla avec M—tski à cause de B—ski, pourtant il résista longtemps. Tous ces gens-là étaient bilieux, quinteux, méfiants, et souffraient d’hyperesthésie morale. Cela se comprend ; leur position était très-pénible, beaucoup plus dure que la nôtre, car ils étaient exilés de leur patrie et déportés pour dix, douze ans ; ce qui rendait surtout douloureux leur séjour à la maison de force, c’étaient les préjugés enracinés, la manière de voir toute faite avec lesquels ils regardaient les forçats ; ils ne voyaient en eux que des bêtes fauves et se refusaient à admettre rien d’humain en eux. La force des circonstances et leur destinée les engageaient dans cette vue. Leur vie à la maison de force était un tourment. Ils étaient aimables et affables avec les Circassiens, avec les Tartares, avec Isaï Fomitch, mais ils n’avaient que du mépris pour les autres détenus. Seul, le vieillard vieux-croyant avait conquis tout leur respect. Et pourtant, pendant tout le temps que je passai aux travaux forcés, pas un seul détenu ne leur reprocha ni leur extraction,