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Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/348

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prétexte, le persécuter et l’espionner, ce plaisir lui fut refusé. L’affaire de J—ski se répandit en ville, et l’opinion publique fut défavorable au major ; les uns lui firent des réprimandes, d’autres lui infligèrent des affronts.

Je me rappelle maintenant ma première rencontre avec le major. On nous avait épouvantés — moi et un autre déporté noble— encore à Tobolsk, par les récits sur le caractère abominable de cet homme. Les anciens exilés (condamnés jadis à vingt-cinq ans de travaux forcés), nobles comme nous, qui nous avaient visités avec tant de bonté pendant notre séjour à la prison de passage, nous avaient prévenus contre notre futur commandant ; ils nous avaient aussi promis de faire tout ce qu’ils pourraient en notre faveur auprès de leurs connaissances et de nous épargner ses persécutions. En effet, ils écrivirent aux trois filles du général gouverneur, qui intercédèrent, je crois, en notre faveur. Mais que pouvait-il faire ? Il se borna à dire au major d’être équitable dans l’application de la loi. — Vers trois heures de l’après-dînée nous arrivâmes, mon camarade et moi, dans cette ville ; l’escorte nous conduisit directement chez notre tyran. Nous restâmes dans l’antichambre à l’attendre, pendant qu’on allait chercher le sous-officier de la prison. Dès que celui-ci fut arrivé, le major entra. Son visage cramoisi, couperosé et mauvais fit sur nous une impression douloureuse : il semblait qu’une araignée allait se jeter sur une pauvre mouche se débattant dans sa toile.

— Comment t’appelle-t-on ? demanda-t-il à mon camarade. Il parlait d’une voix dure, saccadée, et voulait produire sur nous de l’impression.

Mon camarade se nomma.

— Et toi ? dit-il en s’adressant à moi, en me fixant par derrière ses lunettes.