— Sont-ils loin ? voilà ce que j’aimerais savoir…
Et les conversations s’engageaient : — Sont-ils déjà à une grande distance de la ville ? de quel côté se sont-ils enfuis ? de quel côté ont-ils plus de chance ? quel est le canton le plus proche ? Comme il y avait des forçats qui connaissaient les environs, on les écouta avec curiosité.
Quand on vint à parler des habitants des villages voisins, on décida qu’ils ne valaient pas le diable. Près de la ville, c’étaient tous des gens qui savaient ce qu’ils avaient à faire ; pour rien au monde, ils n’aideraient les fugitifs ; au contraire, ils les traqueraient pour les livrer.
— Si vous saviez quels méchants paysans ! Oh ! quelles vilaines bêtes !
— Des paysans de rien.
— Le Sibérien est mauvais comme tout. Il vous tue un homme pour rien.
— Oh ! les nôtres…
— Bien entendu, c’est à savoir qui sera le plus fort. Les nôtres ne craignent rien.
— En tout cas, si nous ne crevons pas, nous entendrons parler d’eux.
— Crois-tu par hasard qu’on les pincera ?
— Je suis sûr qu’on ne les attrapera jamais ! riposte un des plus excités, en donnant un grand coup de poing sur la table.
— Hum ! c’est suivant comme ça tournera.
— Eh bien ! camarades, dit Skouratof— si je m’évadais, de ma vie on ne me pincerait !
— Toi ?
Et tout le monde part d’un éclat de rire ; d’autres font semblant de ne pas même vouloir l’écouter. Mais Skouratof est en train.
— De ma vie on ne me pincerait — fait-il avec énergie. Camarades, je me le dis souvent, et ça m’étonne même. Je passerais par un trou de serrure plutôt que de me laisser pincer.