fois mon thé. Pauvre Souchilof ! il pleura quand je lui donnai mes vêtements, mes chemises, mes courroies pour les fers et quelque peu d’argent. — « Ce n’est pas cela… ce n’est pas cela… disait-il, en mordant ses lèvres tremblantes. — C’est vous que je perds, Alexandre Pétrovitch ! que ferai-je maintenant sans vous ?… » Je dis adieu aussi à Akim Akimytch.
— Votre tour de partir arrivera bientôt ! lui dis-je.
— Je dois rester ici longtemps, très-longtemps encore, murmura-t-il en me serrant la main. Je me jetai à son cou, et nous nous embrassâmes.
Dix minutes après la sortie des forçats, nous quittâmes le bagne, mon camarade et moi — pour n’y jamais revenir. Nous allâmes à la forge où l’on devait briser nos fers. Nous n’avions point d’escorte armée ; nous nous y rendîmes en compagnie d’un sous-officier. Ce furent des forçats qui brisèrent nos fers, dans l’atelier du génie. J’attendis qu’on déferrât mon camarade, puis je m’approchai de l’enclume. Les forgerons me firent tourner le dos, m’empoignèrent la jambe et l’allongèrent sur l’enclume… Ils se démenaient, s’agitaient ; ils voulaient faire cela lestement, habilement. — Le rivet ! tourne d’abord le rivet, commanda le maître forgeron. — Mets-le comme ça, bien !… Donne maintenant un coup de marteau…
Les fers tombèrent. Je les soulevai… Je voulais les tenir dans ma main, les regarder encore une fois. J’étais tout surpris qu’un moment avant ils fussent à mes jambes.
— Allons, adieu ! adieu ! me dirent les forçats de leurs voix grossières et saccadées, mais qui semblaient joyeuses.
Oui, adieu ! La liberté, la vie nouvelle, la résurrection d’entre les morts… Ineffable minute !