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AVERTISSEMENT.

On a beaucoup parlé de Dostoïevsky, depuis un an ; un critique a expliqué en deux mots la supériorité du romancier russe. — « Il possède deux facultés qui sont rarement réunies chez nos écrivains : la faculté d’évoquer et celle d’analyser. »

Oui, avec cela tout le principal est dit. Prenez chez nous Victor Hugo et Sainte-Beuve comme les représentants extrêmes de ces deux qualités littéraires ; derrière l’un ou l’autre, vous pourrez ranger, en deux familles intellectuelles, presque tous les maîtres qui ont travaillé sur l’homme. Les premiers le projettent dans l’action, ils ont toute puissance pour rendre sensible le drame extérieur, mais ils ne savent pas nous faire voir les mobiles secrets qui ont décidé le choix de l’âme dans ce drame. Les seconds étudient ces mobiles avec une pénétration infinie, ils sont incapables de reconstruire pour le mouvement tragique l’organisme délicat qu’ils ont démonté. Il y aurait une exception à faire pour Balzac ; quant à Flaubert, il faudrait entrer dans des distinctions et des réserves sacrilèges ; gardons-les pour le jour où l’on mettra le dieu de Rouen au Panthéon. Toujours est-il que, dans le pays de Tourguenef, de Tolstoï et de Dostoïevsky, les deux qualités contradictoires se trouvent souvent réunies ; cette alliance se paye, il est vrai, au prix de défauts que nous supportons malaisément : la lenteur et l’obscurité.

Mais ce n’est point des romans que je veux parler aujourd’hui. Les Souvenirs de la maison des morts n’empruntent rien à la fiction, sauf quelques précautions de mise en scène, nécessitées par des causes