— Oui ! retenez-les ! lui répondit-on, ils vont se battre. Nous sommes des gaillards, nous autres, un contre sept nous ne boudons pas.
— Oh ! les beaux lutteurs ! L’un est ici pour avoir chipé une livre de pain ; l’autre est un voleur de pots ; il a été fouetté par le bourreau, parce qu’il avait volé une terrine de lait caillé à une vieille femme.
— Allons ! allons ! assez ! cria un invalide dont l’office était de maintenir l’ordre dans la caserne et qui dormait dans un coin, sur une couchette particulière.
— De l’eau, les enfants ! de l’eau pour Névalide[1] Pétrovitch, de l’eau pour notre petit frère Névalide Pétrovitch ! il vient de se réveiller.
— Ton frère… Est-ce que je suis ton frère ? Nous n’avons pas bu pour un rouble d’eau-de-vie ensemble ! marmotta l’invalide en passant les bras dans les manches de sa capote.
On se prépara à la vérification, car il faisait déjà clair ; les détenus se pressaient en foule dans la cuisine. Ils avaient revêtu leurs demi-pelisses (polouchoubki) et recevaient dans leur bonnet bicolore le pain que leur distribuait un des cuisiniers « cuiseurs de gruau », comme on les appelait. Ces cuisiniers, comme les parachniki, étaient choisis par les détenus eux-mêmes : — il y en avait deux par cuisine, en tout quatre pour la maison de force. — Ils disposaient de l’unique couteau de cuisine autorisé dans la prison, qui leur servait à couper le pain et la viande.
Les détenus se dispersaient dans les coins et autour des tables, en bonnets, en pelisses, ceints de leur courroie, tout prêts à se rendre au travail. Quelques forçats avaient devant eux du kvass[2] dans lequel ils émiettaient leur pain et qu’ils avalaient ensuite.