Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/88

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toire de l’esprit sur la chair. Cet homme se commandait parfaitement : il n’avait que du mépris pour les punitions et ne craignait rien au monde. Ce qui dominait en lui, c’était une énergie sans bornes, une soif de vengeance, une activité, une volonté inébranlables quand il s’agissait d’atteindre un but. Je fus étonné de son air hautain, il regardait tout du haut de sa grandeur, non pas qu’il prit la peine de poser ; cet orgueil était inné en lui. Je ne pense pas que personne ait jamais eu quelque influence sur lui. Il regardait tout d’un œil impassible, comme si rien au monde ne pouvait l’étonner. Il savait fort bien que les autres déportés le respectaient, mais il n’en profitait nullement pour se donner de grands airs. Et pourtant la vanité et l’outrecuidance sont des défauts dont aucun forçat n’est exempt. Il était intelligent ; sa franchise étrange ne ressemblait nullement à du bavardage. Il répondit sans détour à toutes les questions que je lui posai : il m’avoua qu’il attendait avec impatience son rétablissement, afin d’en finir avec la punition qu’il devait subir. — « Maintenant, me dit-il en clignant de l’œil, c’est fini ! je recevrai mon reste et l’on m’enverra à Nertchinsk avec un convoi de détenus, j’en profiterai pour m’enfuir. Je m’évaderai, pour sûr ! Si seulement mon dos se cicatrisait plus vite ! » Pendant cinq jours, il brûla d’impatience d’être en état de quitter l’hôpital. Il était quelquefois gai et de bonne humeur. Je profitai de ces éclaircies pour l’interroger sur ses aventures. Il fronçait légèrement les sourcils, mais il répondit toujours avec sincérité à mes questions. Quand il comprit que j’essayais de le pénétrer et de trouver en lui quelques traces de repentir, il me regarda d’un air hautain et méprisant, comme si j’eusse été un gamin un peu bête, auquel il faisait trop d’honneur en causant. Je surpris sur son visage une sorte de compassion pour moi. Au bout d’un instant il se mit à rire à gorge déployée, mais sans la moindre ironie ; j’imagine que plus d’une fois, il a dû rire tout haut, quand mes paroles lui revenaient à la