Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

être, vaguement, de M. Versilov. Elle avait nom Tatiana Pavlovna Proutkov; c’était une propriétaire rurale des environs, riche de trente-cinq âmes. Elle ne gérait pas la propriété Versilov; mais, à la faveur du voisinage, elle la surveillait : surveillance qui valait une gérance habile. Laissant de côté sa compétence administrative, je dirai que Tatiana Pavlovna était une créature vraiment noble et, d’ailleurs, originale.

Non seulement, elle ne détourna pas le revêche Macaire Dolgorouki de ses intentions matrimoniales, mais elle les encouragea. Sophie Andréievna (la serve de dix-huit ans, ma mère) était orpheline depuis dix ans. Feu son père, serf lui aussi, qui estimait beaucoup Macaire Dolgorouki et lui était reconnaissant d’un service obligeamment rendu, avait, à son lit de mort, appelé cet homme et, devant le prêtre et les domestiques, lui avait dit, désignant sa fille :

— Elève-la et épouse-la.

Tous ont entendu ces mots. Quant à Macaire Ivanovitch, je ne sais pas s’il l’épousa par amour ou par devoir. Le plus probable, c’est qu’il fut, en l’espèce, tout à fait indifférent. C’était, malgré son humble condition, un homme de poids. On ne peut dire qu’il fût raisonneur, il était tout simplement d’un caractère têtu, parlait avec autorité, jugeait les choses de haut, et, selon sa propre et admirable expression, « vivait respectablement ». Tel il était à cette époque. Certes, il sut acquérir l’estime générale, mais on s’accordait à le juger insupportable pour tout le monde. Quand il eut quitté le service, persista de lui le souvenir d’un saint qui a beaucoup souffert, cela je le sais, pertinemment. Et voilà pour Macaire Ivanovitch Dolgorouki.