Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/18

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gers, pour la commodité de Versilov — j’y revien­drai ; — aussi je ne réussis pas à me figurer quel pouvait bien être le visage de ma mère à cette époque. Si elle n’était pas belle, alors par quoi fut donc séduit le Versilov de cette époque ? Question qui, pour moi, a son importance : sa solution peut déterminer un des aspects de cet homme ; ce n’est donc pas par dépravation que je me la pose... Lui-même, ce taciturne personnage, — avec cette char­mante bonhomie qu’il a l’air de tirer de sa poche au moment juste où il en a besoin, — lui-même m’a dit qu’à cette époque, il était très jeune et pas du tout sentimental. Il lisait Anton Goremyka et Polineka Saxe, deux livres qui eurent une énorme influence civilisatrice sur la jeune génération d’alors. Il ajouta avec un grand sérieux que c’est peut-être à cause d’Anton Goremyka qu’il vint à la campagne. Comment diable put bien s’engager la conversation entre ce jeune homme un peu nigaud et ma mère. J’ima­gine que, si j’avais un seul lecteur, je lui donnerais à rire : voit-on ce coquebin s’attaquer à telles ques­tions épineuses et prétendre les résoudre par la vertu sans doute de son inexpérience ! D’accord, je suis pauvre de documentation personnelle, — et ce n’est pas par orgueil que je le dis, sachant ce qu’il peut y avoir de ridicule dans l’ingénuité d’un grand gaillard de vingt ans. Seulement je ferai remarquer à ce monsieur qu’il serait aussi embarrassé que moi. C’est vrai, je ne sais rien des femmes, et même je n’en veux rien savoir : toute ma vie je cracherai sur ces espèces ; je m’en suis donné ma parole. Mais je sais pourtant, de science certaine, que telle femme séduira spontanément par sa beauté ou par n’importe quelle qualité évidente de prime abord ; et que