Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/28

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insu tel document qu’il eût payé volontiers (je le sais maintenant avec certitude) au prix de quelques années de sa vie. Mais voilà que je parle par énigmes. Hors de la lumière des faits les sentiments restent troubles. Je mettrai donc les faits en place. C’est pour cela que je me suis assis devant cet encrier.

VII

Déblayons. Il faut que j’arrive à la date que j’ai consignée au début de ces pages... Je noterai briè­vement que je les trouvai tous, Versilov, ma mère et ma sœur (celle-ci, je la voyais pour la première fois), presque dans la misère ou à la veille de la misère. Qu’ils fussent dans une situation pénible, je le savais déjà avant de partir pour Pétersbourg, mais ce que je vis dépassa cruellement mon attente ; et, d’ailleurs, mon imagination avait toujours été rebelle à se représenter cet homme (mon futur père) autrement que paré d’un prestige qui le désignât au premier rang...

Jamais, jusqu’à ces temps derniers, Versilov n’avait habité ostensiblement le même appartement que ma mère, — cela par un lâche souci des « con­venances ». Mais maintenant tous vivaient ensemble, dans un pavillon de bois d’une ruelle. Tous les ob­jets de quelque prix étaient en gages chez le prêteur. De sorte que je donnai à ma mère, en cachette de Versilov, mes mystérieux soixante roubles. Précisé­ment, « mystérieux » : je les avais prélevés, les deux années précédentes, sur les cinq roubles mensuels