Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/46

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non, à la vérité, pour que je lui tirasse les bottes, mais pour que je reçusse ses confidences. Il me confia que, cet argent, il l’avait volé chez sa mère dans un coffre-fort, grâce à une fausse clé, — m’expliquant, d’ailleurs, que l’argent de son père lui appartenait légalement, et que le plus simple était de se servir soi-même. Il m’apprit aussi que, la veille, l’abbé Rigaud était venu à domicile lui faire des re­montrances et lever au ciel des bras pathétiques. « Et moi j’ai tiré mon couteau et j’ai annoncé à Rigaud que, s’il insistait, je le tuerais. » (Il prononçait « tue-eais »). Nous sommes partis pour le Pont des Maréchaux. En route, il me ra­conta que sa mère avait des relations avec l’abbé Rigaud, qu’il le savait pertinemment, mais qu’il n’accordait pas plus d’importance à ces effusions qu’a une drôlerie quelconque. Il me notifia encore maintes et maintes choses, et moi, j’avais peur. Il acheta un fusil à deux coups, des cartouches, un fouet et une livre de bonbons. Nous sortîmes de la ville, pour chasser. Chemin faisant, nous avions rencontré un oiselier, et Lambert lui avait acheté un serin. Une fois dans la campagne, il ouvrit la cage ; l’oiseau, tout engourdi de sa captivité, voletait péniblement. Lambert se mit à tirer sur lui, mais sans l’atteindre. C’était la première fois qu’il chassait. Un bien ancien projet se réalisait là : déjà chez Touchard, nous rêvions d’un fusil. On l’eût cru ivre. Ses cheveux étaient très noirs ; son visage, blanc et rose comme un masque en carton-pâte ; son nez, long et bossué, un nez bien français ; ses dents, blanches; ses yeux, sombres. Il rattrapa le serin, l’attacha à une branche, et, presque à bout portant, lui tira deux coups de fusil : la bestiole se dispersa en mille plumes. Nous