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Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/168

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capital, c’est qu’il n’y avait dans mon cas rien d’apparemment anormal : il me semblait que c’était tout naturel. C’était un état de santé ordinaire, sans aucun élément morbifique. De sorte qu’à la fin j’ai cessé de lutter. J’ai failli croire (et peut-être l’ai-je cru en effet) que c’était là une destinée fatale. J’ai d’abord beaucoup souffert. Je croyais ma situation unique, et je cachais tous ces phénomènes intérieurs comme des secrets. J’en avais honte (n’en ai-je pas encore honte maintenant ?), mais je goûtais de secrètes délices, monstrueuses et viles, à songer en rentrant dans mon coin par une de ces sales nuits pétersbourgeoises, à songer, dis-je, que « aujourd’hui encore j’avais fait une action honteuse, et que ce qui était fait était irréparable », et à aigrir mes remords et à me scier l’esprit et à irriter ma plaie à tel point que ma douleur se transformait en une sorte d’ignoble plaisir maudit, mais réel et tangible. Oui, en plaisir ! oui, en plaisir ! J’y tiens. Je relate cette observation exprès pour savoir si d’autres ont connu ce singulier plaisir. Écoutez-moi : le plaisir consistait justement en une intense conscience de la dégradation, justement en ceci que je me sentais