Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/243

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J’attendis de nouveau.

Peut-être ne comprend-elle pas, pensai-je. C’est ridicule : je moralise !

― Si j’étais père et que j’eusse une fille, je crois que j’aimerais mieux ma fille que mon fils, parole ! repris-je, changeant de conversation pour la distraire.

(J’avoue que je me sentis rougir.)

― Et pourquoi ?

(Ah ! elle écoute !)

― Parce que… Mon Dieu ! je ne sais pas, Lisa. Je connais un père, un homme sévère et grave : il s’agenouille devant sa fille, lui baise les mains, les pieds, et n’a jamais fini de la contempler. Toute la soirée, quand elle danse, il reste assis, la suivant des yeux. Il en devient fou. Mais je le comprends. La nuit, elle est fatiguée, elle s’endort ; mais lui, il se relève et va l’embrasser dans son sommeil et faire sur elle le signe de la croix. Il porte une petite veste râpée, et c’est un avare : mais pour elle il n’y a pas de cadeaux trop chers, il dépense pour elle son argent jusqu’aux derniers sous, et qu’il est heureux quand pour un cadeau il obtient un sourire ! Un père aime toujours plus