Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/252

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tu menais une vie honnête, peut-être te ferais-je la cour, peut-être t’aimerais-je. Chacun de tes regards alors serait un bonheur pour moi. Et chacune de tes paroles ! Je t’épierais à ta porte, je serais fier de toi, je te considérerais comme ma fiancée, et ce serait mon plus cher honneur. Je n’aurais pas, je ne pourrais avoir à propos de toi une seule pensée impure. Mais ici ! Je sais trop que je n’ai qu’à siffler, que bon gré, mal gré, il faut que tu me suives, que ce n’est pas ta volonté que je consulte, mais que tu es d’avance soumise à la mienne. Le dernier moujik qui se loue comme manœuvre n’est pourtant pas un esclave, il sait que sa tâche aura un terme : où est le terme pour toi ? Réfléchis donc : qu’est-ce que tu cèdes ici ? Qu’est-ce que tu asservis ? ― Ton âme ! ton âme dont tu n’as pas le droit de disposer, tu l’asservis à ton corps ! Tu livres ton amour à la profanation des ivrognes ! L’amour ! mais c’est tout au monde, c’est le plus précieux des diamants, c’est le trésor des vierges ! L’amour ! pour le mériter il y en a qui donnent leur âme, leur vie… Mais maintenant, ton amour, que vaut-il ? Tu t’es vendue tout entière. Quel niais viendrait parler d’amour où tout y est