Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/272

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C’était un homme déjà sur le retour, de mine imposante. Outre mon service, il faisait le métier de tailleur à ses moments perdus. Mais je ne sais pourquoi il me méprisait ! Car il me méprisait, et un peu plus que de raison, et me regardait du haut de sa grandeur. Du reste, il traitait tout le monde de même. Rien qu’à voir cette tête blondasse, ces cheveux bien lissés, ce toupet qu’il ramenait sur le haut de son front et graissait avec de l’huile d’olive, cette grande bouche, ces lèvres qui affectaient la forme d’un ijitsa [1], on se sentait en présence d’un être qui ne doutait jamais de lui. C’était un insupportable pédant, le plus grand pédant de toute la terre. Avec cela, un amour-propre qu’on eût à peine pardonné à Alexandre de Macédoine. Il était amoureux de chacun des boutons de son habit et de chacun de ses ongles, positivement amoureux. Il me traitait très-despotiquement, me parlait très-peu, et quand il me regardait, c’était avec une inexpugnable suffisance, une hauteur inaccessible, et toujours avec une mimique railleuse qui parfois m’exaspérait. Il

  1. Lettre en forme de V, non usitée dans l’alphabet ordinaire et exclusivement réservée à la liturgie.