Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/30

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pensées s’obscurcissaient ; il éprouvait comme une agonie d’incertitude et d’espérance.

Il prit son passe-port et le porta au logeur, espérant voir la jeune femme. Mais Mourine entr’ouvrit à peine la porte, prit le papier et dit

— C’est bien ; vis en paix. Et la porte se referma.

Ordinov resta un instant étonné. Sans s’expliquer pourquoi l’aspect de ce vieillard, au regard empreint de haine et de méchanceté, lui était pénible. Mais l’impression désagréable se dissipa bientôt. Depuis trois jours, Ordinov vivait dans un véritable tourbillon, qui contrastait singulièrement avec son ancienne tranquillité. Il ne pouvait ni ne voulait réfléchir. C’était une sorte de confusion. Il sentait sourdement que sa vie venait de se briser en deux parts. Maintenant il n’avait qu’un désir, qu’une passion, et nulle autre pensée ne pouvait le troubler.

Il rentra dans sa chambre et y trouva près du poète où cuisait le dîner une petite vieille bossue, si sale et si déguenillée qu’il fut pris de compassion pour elle. Elle paraissait très-méchante. De temps à autre elle marmonnait, en remuant sa bouche