Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/108

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obsèques. Elle acheta une bière toute simple et loua un charretier avec son tombereau. Pour se couvrir de ses dépenses, Anna Fédorovna prit tous les livres et toutes les bardes du défunt. Le vieillard se querella avec elle ; il fit grand tapage et lui arracha autant de livres qu’il put ; il en remplit ses poches, son chapeau, il en mit partout ; il les porta sur lui pendant ces trois jours et ne voulut même pas s’en séparer quand le moment vint d’aller à l’église. Durant tout ce temps il fut comme hébété, sans mémoire ; il tournait sans relâche autour du cercueil d’un air affairé, cherchant à se rendre utile ; tantôt il arrangeait les couronnes placées sur le corps, tantôt il allumait ou changeait les cierges. On voyait que ses idées ne pouvaient se fixer sur rien avec suite. Ni ma mère, ni Anna Fédorovna n’allèrent à l’église pour l’absoute. Ma mère était malade ; Anna Fédorovna s’était disputée avec le vieillard et ne voulait plus se mêler de rien. J’allai seule avec lui. Pendant la cérémonie, je fus prise d’une peur vague, comme un pressentiment d’avenir ; je pouvais à peine me tenir sur mes jambes. Enfin l’on cloua le cercueil, on le chargea sur la charrette et on l’emmena. Le charretier fit prendre le trot à