Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/46

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portrait de son père, dont il a aussi l’air souffreteux. La femme a dû être bien autrefois, elle a encore de beaux restes ; la malheureuse porte des guenilles si misérables ! À ce que j’ai entendu dire, ils doivent à la logeuse ; elle n’est pas trop aimable avec eux. J’ai aussi entendu parler d’ennuis survenus à Gorchkoff et qui même auraient été cause de sa destitution… A-t-il ou n’a-t-il pas un procès ? Est-il ou non sous le coup d’une poursuite, d’une instruction judiciaire ? Vraiment, je ne puis pas vous le dire. Mais quant à être pauvres, ces gens-là le sont, Seigneur, mon Dieu ! Dans leur chambre règne toujours le plus grand silence ; il y aurait pour croire qu’elle est inhabitée. Les enfants même ne font pas de bruit. Jamais on ne les entend jouer ou folâtrer, et c’est mauvais signe. Un soir, comme je passais par hasard devant leur porte, j’ai remarqué chez eux quelque chose d’insolite : au lieu du silence accoutumé, c’étaient des sanglots, puis des chuchotements suivis de nouveaux sanglots ; il semblait qu’on pleurât, mais sans bruit, et cette douleur muette était si poignante que j’en eus le cœur percé ; la pensée de ces pauvres gens ne me quitta pas de toute la nuit,