Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nent aux yeux, vous pleurez sans bruit en étouffant vos sanglots, et vous ne songez plus au vocabulaire. Vous n’apprenez pas la leçon du lendemain ; toute la nuit vous rêvez du professeur, de madame, des demoiselles ; toute la nuit vous répétez vos leçons en songe, et le lendemain vous ne savez rien. On vous met à genoux, on vous supprime la moitié de votre dîner. J’étais si triste, si ennuyée ! D’abord toutes les demoiselles se moquaient de moi, me taquinaient, me troublaient quand je récitais mes leçons, me pinçaient quand nous allions en rang au réfectoire ; à propos de rien elles se plaignaient de moi à la maîtresse. En revanche, quel paradis quand la niania venait me chercher le samedi soir ! Alors j’embrassais ma vieille bonne dans un transport d’allégresse. Elle m’habillait, me couvrait chaudement ; en chemin elle ne pouvait pas me suivre, et je ne cessais de bavarder avec elle, je lui racontais tout. J’arrivais gaie, joyeuse, à la maison ; j’embrassais mes parents comme je l’aurais fait après une séparation de dix années. Puis commençaient les causeries, les récits ; j’échangeais des bonjours avec tout le monde, je riais, je courais, je sautais. Avec mon père