Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/62

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Sous l’influence des soucis, des chagrins, des déceptions, mon pauvre père devenait défiant, bilieux ; il était souvent sur le point de s’abandonner au désespoir. Il commença à négliger sa santé, prit un refroidissement et mourut après une courte maladie. Un coup si subit, si inattendu, nous atterra ; nous fumes plusieurs jours sans pouvoir reprendre possession de nos esprits. L’état de prostration dans lequel ma mère était plongée me fit même craindre pour sa raison. Sitôt mon père mort, nous vîmes affluer chez nous les créanciers, sortant, pour ainsi dire, de dessous terre. Tout ce que nous avions, nous le leur abandonnâmes. Notre petite maison de la Péterbourgskaïa storona, que mon père avait achetée six mois après notre arrivée à Pétersbourg, fut vendue également. Pour le reste, je ne sais comment on arrangea les affaires, mais, quant à nous, nous demeurâmes sans toit, sans asile, sans pain. Ma mère souffrait d’un mal qui épuisait ses forces ; nous ne pouvions pas gagner notre vie, nous ne possédions aucun moyen d’existence ; notre perte était imminente. Je n’avais encore que quatorze ans à cette époque. Voilà qu’alors nous reçûmes la visite d’Anna Fédorovna. Elle