Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/78

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ployant autant que possible les expressions les plus choisies, c’est-à-dire les plus ridicules. Mais le don de l’éloquence lui avait été refusé : toujours il se troublait et s’intimidait au point de ne savoir où mettre ses mains ni que faire de sa personne, et, après avoir parlé, il mâchonnait longtemps encore à part soi, comme pour rectifier ce qu’il venait de dire. Par contre, lorsqu’il avait eu la chance de bien répondre, le vieillard se pavanait, rajustait son gilet, sa cravate, son frac ; bref, il se donnait les airs d’un homme qui a conscience de son mérite personnel. En pareil cas, il poussait parfois l’assurance, l’audace, jusqu’à se lever tout doucement de sa chaise, s’approcher d’un rayon chargé de livres, et y prendre un volume quelconque qu’il se mettait à lire. Il faisait tout cela avec une affectation d’indifférence et de sang-froid, comme s’il pouvait toujours disposer ainsi des livres de son fils et que l’amabilité de ce dernier ne fût pas chose rare pour lui. Mais je fus témoin de la frayeur du pauvre homme, un jour que Pokrovsky le pria de ne pas toucher à ses livres. Il se troubla, et, dans sa précipitation, remit le livre sens dessus dessous, puis il le retourna et, par une autre