m’avoir poussée au mal, la première fois, il m’avait expliqué que j’avais agi vilainement. Ne pouvait-il donc pas comprendre qu’il est difficile de tromper une nature avide d’impressions et qui déjà sent et conçoit ce qui est bien ou mal ? Je comprenais que c’était une terrible nécessité qui avait pu l’amener à me pousser au vice pour la seconde fois, et à sacrifier ainsi une pauvre enfant sans défense, en risquant encore une fois de débaucher sa conscience instable.
Et maintenant, blottie dans un coin, je me demandais : Pourquoi m’a-t-il promis des récompenses, puisque j’étais bien décidée à agir de mon plein gré ? De nouvelles sensations, de nouvelles aspirations, de nouvelles questions, se pressaient en moi et me tourmentaient. Ensuite, tout d’un coup, je me mis à penser à maman. Je me représentai sa douleur devant la perte de son dernier argent, fruit de son travail.
Enfin, maman ayant terminé la besogne qu’elle avait grand peine à faire, m’appela. Je tressaillis, et m’approchai d’elle. Elle prit l’argent dans la commode, et me le remit en disant : « Va, Niétotchka, mais, au nom de Dieu, veille à ce qu’on ne te le vole pas comme l’autre fois, et ne perds rien. »
Je regardai mon père d’un air suppliant, mais il hocha la tête, me sourit d’un air approbateur, en se frottant les mains d’impatience.
La pendule sonnait six heures. Le concert commençait à sept heures. Lui aussi devait souffrir beaucoup de cette attente.
Je m’arrêtai dans l’escalier pour l’attendre. Il était si ému et si impatient que, sans aucune précaution, il courut aussitôt derrière moi. Je lui remis l’argent. L’escalier était noir et je ne pouvais voir son visage, mais je le sentais qui tremblait en prenant l’argent. J’étais presque sans connaissance et ne bougeais pas. Enfin je me ressaisis quand il voulut m’envoyer en haut lui chercher son chapeau.
Il ne voulait pas rentrer.
— « Père, est-ce que tu ne remonteras pas avec moi ? » demandai-je d’une voix entrecoupée, mon dernier espoir étant qu’il me défendît.
— « Non… Va seule… Attends, attends !… s’écria-t-il, attends ! Je t’apporterai un cadeau tout de suite ; monte d’abord et apporte-moi ici mon chapeau. »
Ce fut comme si une main glacée me serrait tout à coup le