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Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/58

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Une demi-heure après, ma mère prit la bougie et s’approcha de moi pour voir si je dormais. Pour la rassurer, je fermai les yeux et feignis de dormir.

Ensuite, sur la pointe des pieds, elle alla jusqu’à l’armoire, l’ouvrit et se versa un verre de vin. Elle le but et se coucha, laissant la bougie allumée sur la table et la porte ouverte, comme elle faisait toujours quand mon père devait rentrer tard. J’étais couchée et dans un état presque d’inconscience, mais je ne dormais pas ; et à peine fermais-je les yeux, que d’horribles visions m’assaillaient. Mon angoisse grandissait de plus en plus. Je voulais crier, mais ma voix s’étranglait dans ma gorge. Il était déjà très tard dans la nuit, quand j’entendis la porte s’ouvrir. Je ne me rappelle pas combien de temps s’écoula, mais quand j’ouvris tout à fait les yeux, j’aperçus mon père. Il me parut affreusement pâle. Il était assis sur une chaise, près de la porte, et semblait réfléchir. Un silence de mort régnait dans la chambre. La chandelle à demi-consumée éclairait tristement notre logis.

Je regardai longtemps, mais mon père ne bougeait toujours pas de place. Il restait assis, immobile, la tête baissée, les mains appuyées sur les genoux.

Plusieurs fois je voulus l’appeler, mais les sons ne sortaient pas de ma gorge. Enfin, tout d’un coup, il remua, redressa la tête et se leva de sa chaise. Il resta debout au milieu de la chambre pendant quelques minutes, comme s’il prenait une décision ; ensuite, résolument, il s’approcha du lit de maman, écouta, puis s’étant convaincu qu’elle dormait, il se dirigea vers le coffre dans lequel était son violon. Il ouvrit le coffre, prit la boîte noire renfermant le violon et la posa sur la table. Il regarda de nouveau autour de lui. Son regard était trouble et vague ; je n’avais jamais encore remarqué chez lui un pareil regard.

Il prit le violon et le posa aussitôt ; il alla fermer la porte ; puis ayant remarqué que l’armoire était ouverte, il s’en approcha doucement, vit le verre et la bouteille, se versa du vin et but. Alors, pour la troisième fois, il prit son violon ; mais, cette fois encore, il le laissa aussitôt et s’approcha du lit de maman. Tremblante de peur, j’attendais ce qui allait se passer.

Il écouta quelque chose longtemps, puis, soudain, descendit