Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/7

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profond étonnement. Il était peiné jusqu’au fond de l’âme. Comment ? Efimov ! Ce même Efimov auquel il s’était tant intéressé, auquel il avait prodigué tant de bienfaits ! Cet Efimov l’avait calomnié honteusement, sans pitié, devant un artiste européen, devant un homme dont l’opinion lui était si précieuse ! En outre, cette lettre lui paraissait inexplicable sous un autre rapport : on lui écrivait qu’Efimov était un artiste d’un vrai talent, un violoniste, et qu’on ne savait pas l’apprécier, qu’on le forçait à jouer d’un autre instrument ! Tout cela frappa tellement le propriétaire qu’il résolut de partir sur le champ pour la ville, afin de voir le Français. Mais juste à ce moment, il reçut un billet du comte qui lui demandait de venir immédiatement chez lui. Il était, disait-il, au courant de toute l’histoire ; le virtuose français se trouvait maintenant chez lui avec Efimov, et l’audace, les calomnies de ce dernier l’avaient tellement indigné qu’il avait ordonné de le retenir. Le comte ajoutait que la présence du propriétaire était nécessaire encore par cette considération que l’accusation d’Efimov le touchait lui-même personnellement, que cette affaire était très importante et qu’il fallait la tirer au clair le plus vite possible.

Le propriétaire se rendit immédiatement chez le comte, où il fit aussitôt connaissance avec le Français. Il expliqua à celui-ci toute l’histoire de mon beau-père, ajoutant qu’il n’avait jamais soupçonné chez Efimov un si grand talent, qu’au contraire Efimov s’était toujours montré un mauvais clarinettiste et qu’il apprenait pour la première fois que le musicien qui l’avait quitté était un violoniste. Il déclara qu’Efimov était libre, qu’il avait toujours joui de son indépendance absolue et qu’il pouvait s’en aller quand il voudrait, si, en effet, il se sentait opprimé. Le Français se montra extrêmement étonné. On fit venir Efimov. Il était méconnaissable. Il se conduisit honteusement, répondit avec ironie et maintint l’exactitude de tout ce qu’il avait raconté au Français. Tout cela irrita le comte à l’extrême. Il déclara tout net à mon beau-père qu’il était un lâche calomniateur, digne de la plus ignominieuse punition.

— « Ne vous inquiétez pas, votre Excellence ; je vous connais déjà suffisamment, répondit mon beau-père. C’est grâce à vous que j’ai failli être jugé comme assassin. Je sais qui a