Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/80

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— « Eh bien, veux-tu que je t’apporte du gâteau, aujourd’hui ? » me dit-elle un jour. Mange, ainsi tu grossiras vite.

— « Oui, apporte », répondis-je ravie à la pensée de la voir une fois de plus.

Après s’être informée de ma santé, la petite princesse s’asseyait en face de moi, sur une chaise, et ses yeux noirs m’examinaient toute. Au commencement, les premiers jours de notre connaissance, à chaque instant elle m’examinait des pieds à la tête avec un étonnement des plus naïfs. Mais nous n’arrivions pas à converser ensemble. J’étais timide devant Catherine, ses réflexions m’interloquaient ; cependant je mourais d’envie de lui parler.

— « Pourquoi ne dis-tu rien ? » commençait Catherine après un silence.

— « Comment va ton papa ? » demandais-je, heureuse qu’il y eût une phrase par laquelle on pouvait commencer chaque fois la conversation.

— « Papa va bien. J’ai bu aujourd’hui non pas une tasse de thé, mais deux. Et toi, combien ?

— « Une seule. »

Un court silence.

— « Aujourd’hui Falstaff a voulu me mordre.

— « Falstaff ? C’est un chien ?

— « Oui, un chien. Est-ce que tu ne l’as pas vu ?

— « Si, je l’ai vu. »

Et, comme je ne savais plus que dire, la princesse me regardait de nouveau avec étonnement.

— « Dis ? Tu as du plaisir quand je te parle ?

— « Oui, un grand plaisir ; viens plus souvent.

— « On me l’a dit que ça te faisait plaisir que je vienne te voir. Mais lève-toi plus vite. Aujourd’hui je t’apporterai du gâteau… Mais, pourquoi te tais-tu tout le temps ?

— « Comme ça.

— « Probablement tu réfléchis toujours ?

— « Oui, je pense beaucoup.

— « Et à moi, on dit que je parle beaucoup et que je réfléchis peu. Est-ce que c’est mal de parler ?

— « Non. Je suis heureuse quand tu parles.

— « Hein… Je demanderai à Mme  Léotard ; elle sait tout. Et à quoi penses-tu ?