Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/9

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vivre chez vous ! Je vous dis que c’est le diable qui s’est attaché à moi ; j’incendierais votre maison si je restais. Parfois une telle angoisse me saisit qu’il vaudrait mieux pour moi n’être pas né ! Maintenant je ne puis même pas répondre de moi. Non, monsieur, il vaut mieux me laisser… Tout cela, c’est depuis que ce diable s’est lié d’amitié avec moi…

— « Qui ? demanda le propriétaire.

— « Celui qui a crevé comme un chien ! Ce maudit Italien !…

— « C’est lui, Egor, qui t’a appris à jouer ?

— « Oui… Il m’a appris plusieurs choses pour ma perte. Mieux vaudrait ne l’avoir jamais connu !…

— « Est-ce que c’était un tel maître sur le violon, Egor ?

— « Non, lui-même jouait mal, mais il enseignait bien. J’ai appris tout. Il me montrait seulement… Il aurait mieux valu pour moi que ma main tombât desséchée plutôt que d’apprendre cet art. Maintenant je ne sais pas moi-même ce que je veux. Demandez-moi, monsieur : Egor, qu’est-ce que tu désires ? je puis te donner tout. Eh bien, monsieur, je ne vous dirais pas un mot de réponse, parce que je ne sais pas moi-même ce que je désire. Non, monsieur, je vous le dis encore une fois, il vaut mieux me laisser. Je ferai quelque chose pour qu’on m’envoie très loin et que ce soit fini !

— « Egor, dit le propriétaire après un moment de silence, je ne te laisserai pas ainsi : si tu ne veux pas venir chez moi, soit, tu es libre, je ne puis te retenir ; mais je ne m’en irai pas ainsi… Joue-moi quelque chose sur ton violon, Egor, joue. Je t’en supplie, joue… Ce n’est pas un ordre que je te donne, tu comprends, je ne te force pas, je te supplie… Joue, Egor. Au nom de Dieu, joue-moi ce que tu as joué au Français. Tu es obstiné, moi aussi. J’ai aussi mon caractère, Egor. Je ne vivrai pas tant que tu ne m’auras pas joué, de bonne volonté, ce que tu as joué au Français.

— « Soit, dit Efimov… Je m’étais juré, monsieur, de ne jamais jouer devant vous ; mais maintenant mon cœur faiblit. Je jouerai… Mais ce sera pour la première et la dernière fois, et jamais plus, monsieur, vous ne m’entendrez jouer, si même vous me promettiez mille roubles. »

Il prit alors son violon et se mit à jouer ses variations sur des chansons russes. B… disait que ces variations étaient sa