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Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/91

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mais en un instant elle réfréna son émotion et un sourire parut sur ses lèvres.

— « J’irai dire à papa que je vous ai embrassée et que je vous ai demandé pardon, dit-elle lentement, comme en réfléchissant. Voilà trois jours que je ne l’ai pas vu. Il m’a défendu de me présenter devant lui avant que je n’aie fait cela », ajouta-t-elle après un silence ; et aussitôt elle descendit, timide et songeuse, comme si elle n’était pas sûre de l’accueil que lui réservait son père.

Une heure plus tard, en haut, éclatèrent les rires, les cris, le bruit, l’aboiement de Falstaff ; quelque chose était renversé et brisé, des livres tombaient par terre, le cerceau roulait dans toutes les chambres, en un mot, je compris que Catherine s’était réconciliée avec son père et mon cœur trembla de joie. Mais elle ne s’approchait pas de moi et, visiblement, évitait de causer avec moi. En revanche, j’eus l’honneur de provoquer au plus haut degré sa curiosité. Elle s’asseyait en face de moi pour m’examiner plus commodément et renouvelait ses observations sur moi de plus en plus souvent et naïvement.

En un mot, la fillette gâtée, capricieuse, que tous choyaient et chérissaient dans la maison comme un trésor, ne pouvait pas comprendre comment je me trouvais au travers de son chemin, alors qu’elle n’avait pas du tout voulu me rencontrer. Mais c’était un bon petit cœur, qui savait toujours trouver le bon chemin par son seul instinct.

Son père, qu’elle adorait, était la personne ayant le plus d’influence sur elle. Sa mère l’aimait passionnément, mais elle était très sévère avec elle ; c’était d’elle que Catherine tenait l’obstination, l’orgueil et la fermeté de caractère ; mais elle supportait tous les caprices de sa mère, qui allaient jusqu’à la tyrannie morale. La princesse comprenait étrangement l’éducation, et celle de Catherine était un mélange bizarre de gâteries stupides et de sévérités impitoyables. Ce qui était permis hier, tout d’un coup, sans aucune raison, était défendu aujourd’hui, de sorte que le sentiment de la justice de l’enfant était froissé… Mais il sera question de cela plus tard. Je noterai seulement que la fillette savait très bien définir ses rapports avec son père et sa mère. Avec son père elle était toute naturelle, sans mystère, franche. Au contraire, avec sa mère elle était méfiante, renfermée et absolument obéissante ; mais