Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/97

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de notre veilleuse. Parfois je m’asseyais sur son lit, je me penchais sur son visage et je sentais son souffle chaud ; alors doucement, tremblant de peur, je baisais ses petites mains, ses épaules, ses cheveux, ses pieds, s’ils se montraient hors de la couverture.

Peu à peu je remarquais — car pendant tout un mois, je ne la quittai pas des yeux — que Catherine devenait d’un jour à l’autre plus pensive ; son caractère commençait à perdre de son équilibre ; parfois toute une journée se passait sans qu’on l’entendît, tandis qu’un autre jour c’était un vacarme comme jamais elle n’en avait fait. Elle devenait irritable, exigeante ; elle rougissait et se fâchait très souvent, et avec moi, elle arrivait même aux petites cruautés ; tantôt, tout d’un coup, elle refusait de dîner près de moi, d’être assise près de moi, comme si je lui eusse inspiré du dégoût ; tantôt elle s’en allait brusquement chez sa mère et y restait des journées entières, sachant peut-être que je souffrais en son absence ; tantôt soudainement elle se mettait à me regarder, pendant des heures de sorte que, gênée affreusement, je ne savais où me mettre : je rougissais, je pâlissais, et cependant je n’osais pas sortir de la chambre.

Depuis deux jours Catherine se plaignait de la fièvre, tandis que jamais auparavant elle n’avait été malade. Enfin, un beau matin, sur le désir de la princesse, on donna l’ordre à Catherine de s’installer en bas, chez sa mère, qui avait failli mourir de peur en apprenant que sa fille avait de la fièvre. Je dois dire que la princesse était très mécontente de moi, et tous les changements qu’elle remarquait en Catherine, ceux même dont je ne m’apercevais pas, elle me les attribuait ainsi qu’à l’influence de mon caractère morose, comme elle disait. Depuis longtemps déjà elle nous aurait séparées, mais elle ajournait cette séparation, sachant qu’elle aurait à soutenir à ce sujet une discussion sérieuse avec le prince, qui, bien qu’il lui cédât en tout, se montrait parfois extrêmement obstiné. Et elle comprenait très bien le prince.

Ce fut un coup pour moi d’être séparée de Catherine, et pendant toute une semaine je fus dans un état d’esprit des plus maladifs. Je me tourmentais, je me creusais la tête sur la cause de l’aversion de Catherine pour moi. L’angoisse déchirait mon âme, et le sentiment de la justice et de l’indigna-