Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/96

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extérieur existe. Si cependant vous creusez un peu cette idée, vous verrez qu’elle est pleine de sens. Il y a beaucoup de gens pour qui le monde extérieur n’existe pas. Il y a des gens qui sont ainsi. Ils entrent dans une chambre : demandez-leur ensuite de quelle couleur était le papier, ils ne sauront pas vous le dire. Ce sont des gens pour qui le monde extérieur n’existe pas. Il y a fort peu de gens qui, au sortir d’un spectacle extérieur, sont capables de vous le décrire avec précision. De même, Théophile Gautier dit : " Moi, ce qui fait ma supériorité, le voici : je suis très fort, j’amène cinq cents au dynamomètre, et je fais des métaphores qui se suivent.’

Eh bien, si Théophile Gautier, en frappant sur la tête de turc dans les foires, faisait monter tout en haut le système, il se peut qu’il en tire vanité : mais ce qui nous importe, c’est ceci : c’est qu’il fait des métaphores qui se suivent. Et, notez-le, chez Lamartine, les métaphores ne se suivent pas toujours. Savez-vous pourquoi ? Parce que parfois, c’était lui qui les commençait, mais c’était un autre qui les achevait.

Lamartine était très insoucieux de ses écrits ; et il lui arrive, par exemple, de porter le manuscrit de son poème de Jocelyn chez le libraire, et de lui dire : " Il y a un certain nombre de vers qui ne sont pas terminés, mais vous trouverez toujours bien quelqu’un pour les terminer." En sorte qu’il y a certains hémistiches de Jocelyn qui ne sont pas de Lamartine, mais qui sont d’un commis de librairie quelconque. Espérons au moins que ce ne sont pas ceux-là que nous admirons le plus.