Page:Doyle - Du mystérieux au tragique.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

bitude, et rapprochâmes nos sièges de la table d’acajou carrée qui occupait le centre de l’atelier. Bien que très réduite, la lumière restait suffisante pour nous permettre de nous voir distinctement les uns les autres. Je me souviens que même je pouvais observer les curieuses petites mains potelées que le Français étalait sur la table.

— À la bonne heure ! dit-il. Voilà des années que je n’ai pris place à une table dans les mêmes conditions que ce soir. Cela m’amuse. Vous êtes médium, Madame ? Allez-vous jusqu’à la catalepsie ?

— Pas précisément, dit Mrs. Delamere. Mais j’ai toujours l’impression d’une très forte envie de dormir.

— C’est le premier stade. Abandonnez-vous entièrement, et la catalepsie arrive. Une fois la catalepsie arrivée, votre âme se précipite au dehors, tandis que du dehors se précipite en vous une autre âme, avec qui l’on entre ainsi en correspondance directe par la parole ou l’écriture. Vous remettez à autrui le gouvernement de votre machine. Hein ! qu’est-ce que des licornes peuvent avoir à faire ici ?

Harvey Deacon sursauta. Le Français bougeait lentement la tête, et ses yeux, autour de lui, scrutaient les ténèbres qui drapaient les murs.

— Drôle de chose ! fit-il, toujours des licornes ! Qui donc a pensé aussi fortement à un sujet aussi bizarre ?

— C’est merveilleux ! s’exclama Deacon. J’ai toute la journée essayé de peindre une licorne. Comment le savez-vous ?

— Vous avez pensé aux licornes dans cette chambre.

— En effet.

— Mais, cher monsieur, les pensées sont des choses. Quand vous imaginez une chose, vous en faites une. L’ignoriez-vous ? Je peux voir, moi, vos licornes, parce que ce n’est pas seulement avec les yeux que je peux les voir.

— Voulez-vous dire que rien qu’en y pensant je crée une chose qui n’a jamais eu d’existence ?

— Certainement. C’est le fait qui gît sous tous les autres faits. Et c’est la raison pourquoi une pensée de mal constitue un danger par elle-même.

— Vos licornes sont sur le plan astral, je suppose ? interrogea Moir.

— Tout cela, ce sont des mots, mes amis. Elles sont là… quelque part… ou partout. Moi-même, je ne saurais le dire : Je les vois. Je ne pourrais pas les toucher.

— Et vous ne pourriez pas nous les faire voir ?

— Ce serait les matérialiser. Tenez ! il y a une expérience à faire. Mais le pouvoir manque. Voyons un peu de quel pouvoir nous disposons. Nous agirons en conséquence. Me permettez-vous de vous placer à ma guise ?

— Vous en savez beaucoup plus long que nous sur ce chapitre, dit Harvey Deacon. Je vous donne pleine autorité.

— Les conditions peuvent n’être pas bonnes. Essayons nos moyens. Madame voudra bien garder sa place. Je me mettrai près d’elle. Monsieur que voici, à côté de moi. Monsieur Moir se mettra de l’autre côté de Madame, car il convient d’alterner les bruns et les blonds. Là. Et maintenant, avec votre permission, je vais éteindre toutes les lumières.

— Quel avantage y trouvez-vous ? demandai-je.

— La force que nous utilisons est une vibration de l’éther ; la lumière aussi en est une. Supprimons la lumière, et nous gardons pour nous