Page:Doyle - Je sais tout.djvu/14

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résultat de la bataille alors que les autres n’en soufflèrent pas mot.

— Tenez, prenons encore Westlake comme exemple, dit Mortimer en bourrant sa pipe… Hé ! là-bas ! Abdul ! Vous pouvez desservir !… Westlake, dans le but d’arriver le premier à fournir des nouvelles, n’hésita pas à se faire passer pour un courrier officiel ; il arriva à se faire conduire en utilisant les relais qui avaient été utilisés par le titulaire réel. Le journal qu’il représentait gagna de ce fait un demi-million.

— Vous trouvez cette manœuvre loyale ?

— Pourquoi pas ?

— Il me semble qu’elle frise, de très près, le vol.

— Eh bien, moi qui vous parle, je n’hésiterais pas à en faire autant. Qu’est-ce que vous en dites, Scott ?

— Pour ma part, je ne reculerais que devant un assassinat.

— Penh ! Vous en seriez bien capable…

— Non, réellement, je n’irais pas jusque-là… Ce serait contraire au devoir professionnel. Toutefois si un étranger venait à se trouver entre un bureau télégraphique et un correspondant de presse surchargé de notes et de travail, ce serait évidemment aux risques et périls de l’étranger. Mon cher Anesley, très franchement, si vous êtes venu au Soudan embarrassé de pareils scrupules, vous auriez mieux fait de rester à Fleet street. Notre vie est remplie d’imprévu et notre labeur n’est assujetti à aucune règle fixe. Peut-être, plus tard, notre profession sera-t-elle réglementée, mais pour l’instant elle ne l’est pas. Faites ce que vous pourrez, employez les moyens qui vous plairont, mais surtout soyez le premier au bureau télégraphique. J’ajouterai que vous ferez bien, quand vous aurez à entreprendre une nouvelle campagne, d’amener avec vous le meilleur cheval que vous pourrez trouver, dût-il vous coûter la forte somme. Nous ne savons lequel des deux, de Mortimer ou de moi, l’emportera sur l’autre, mais, nous avons les montures les plus rapides du pays, nous n’avons négligé aucune chance de succès…

— Je n’en suis pas aussi sûr que vous, protesta Mortimer, car vous savez que si un cheval gagne de vitesse un chameau sur un parcours de vingt milles, le contraire se produit quand le trajet est de trente.

— Comment, un des chameaux que voici, l’emporterait de vitesse sur un cheval ? demanda Anesley étonné.

Les deux compères se mirent à rire.

— Non ! Non ! Mais un chameau de courses, l’animal que montent les Derviches quand il leur faut parcourir avec rapidité des distances considérables.

— Et ces animaux vont plus vite qu’un cheval au galop ?

— Parfaitement. Un cheval ne pourrait les suivre, car leur allure est la même pendant tout le trajet ; de plus, ils n’ont pas besoin de s’arrêter pour manger ou boire et la sûreté de leur pied est infaillible. Autrefois dans les courses qui se donnaient à Halfa, entre chevaux et chameaux, la victoire revenait toujours à ces derniers sur une longue distance.

— En tous cas, nous n’avons pas de reproches à nous adresser, dit Mortimer, car il me parait peu probable que nous avions à nous éloigner de trente milles d’une station télégraphique et le fil sera rétabli à notre suite la semaine prochaine.

— C’est certain ; pour le moment reposons-nous.


SURPRIS PAR LES DERVICHES.


Scott et Mortimer s’installèrent sous leur moustiquaire et, quelques instants après, ils dormaient l’un et l’autre d’un profond sommeil, en gens habitués à vivre au grand air.

Le jeune Anesley, le cigare entre les dents, s’était adossé à un palmier et il réfléchissait aux conseils qu’il venait de recevoir. Il avait pris la détermination de les suivre et il allait lui-même s’étendre sur le sol quand il vit quelque chose bouger dans la direction du Sud. C’était un cavalier, l’ingénieur Merryweather qui revenait. À un moment, cheval et cavalier disparurent dans un repli de terrain. Tout à coup, il aperçut un nuage de fumée blanche qui s’élevait au milieu des rochers et s’allongeait comme un fin brouillard dans le désert. Il réveilla Scott et Mortimer en criant :

— Levez-vous ! Je crois que Merryweather vient d’être fusillé par les Derviches !

— Et l’agent de Reuter n’est pas ici ! exultèrent ensemble les deux journalistes. Comment cela s’est-il passé ?

En quelques mots, il les mit au courant.

— Vous n’avez rien entendu ? demanda Scott.

— Non.

— Il est vrai que le bruit d’un coup de feu peut être amorti par les rochers !