Page:Doyle - Jim Harrison, Boxeur, trad Savine, 1910.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
jim harrison, boxeur

et quand elle me quittera, elle emportera quelque chose que le monde entier est incapable de me faire oublier.

Vous qui lisez ceci, vous avez peut-être de nombreux amis, il peut se faire que vous contractiez plus d’un mariage, mais votre mère est la première et la dernière amie. Chérissez-la donc, pendant que vous le pouvez, car le jour viendra où tout acte irraisonné, où toute parole jetée avec insouciance, reviendra en arrière se planter comme un aiguillon dans votre cœur.

Telle était donc ma mère, et quant à mon père, la meilleure occasion pour faire son portrait, c’est l’époque où il nous revint de la Méditerranée.

Pendant toute mon enfance, il n’avait été pour moi qu’un nom et une figure dans une miniature que ma mère portait suspendue à son cou.

Dans les débuts, on me dit qu’il combattait contre les Français.

Quelques années plus tard, il fut moins souvent question de Français et on parla plus souvent du général Bonaparte.

Je me rappelle avec quelle frayeur respectueuse je regardai à la boutique d’un libraire de Portsmouth la figure du Grand Corse.

C’était donc là l’ennemi par excellence, celui que mon père avait combattu toute sa vie, en une lutte terrible et sans trêve.

Pour mon imagination d’enfant, c’était une affaire d’honneur d’homme à homme, et je me représentais toujours mon père et cet homme rasé de près, aux lèvres minces, aux prises, chancelant, roulant dans un corps à corps furieux qui durait des années.

Ce fut seulement après mon entrée à l’école de grammaire que je compris combien il y avait de petits garçons dont les pères étaient dans le même cas.