Page:Doyle - La Main brune.djvu/53

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à ce que ni vous ni Félix n’entriez dans cette chambre. Elle est fermée à clef. Je vous supplie de vouloir bien, au reçu de cette lettre, apposer un scellé sur la serrure et n’y plus penser. Ne vendez ni ne louez la maison : dans l’un ou l’autre cas, on découvrirait mon secret. Aussi longtemps que vous ou Félix habiterez la maison, je sais que vous respecterez ma volonté. Quand Félix aura vingt et un ans, il pourra ouvrir la chambre, pas avant.

« Au revoir, la meilleure des femmes. Durant notre courte séparation, vous pourrez en toute occasion consulter Mr. Perceval : il a mon entière confiance. Je me console d’avoir à vous laisser, même pour peu de temps, Félix et vous. Mais je n’ai pas le choix.

« Votre mari qui vous aime et vous aimera toujours,

« Stanislas Stanniford.
« 4 juin 1887. »

— En vérité, s’excusa le jeune homme, je vous inflige là mes affaires de famille, et dans ce qu’elles ont de plus intime. Ne les considérez qu’au point de vue professionnel. Il y a des années que je voulais m’en ouvrir à quelqu’un.

— Votre confiance m’honore, répondis-je, et les faits m’intéressent au plus haut point.

— Mon père était connu pour sa sincérité presque maladive. Il affectait en toute chose une rigoureuse exactitude. Quand donc il exprimait l’espoir de revoir très vite ma mère, il disait strictement la vérité. De même, croyez-le, quand il certifiait qu’il n’y avait, dans le cabinet noir, rien qui pût lui faire honte.

— Qu’est-ce que cela pouvait être ?

— Ni ma mère ni moi ne pûmes l’imaginer. Nous suivîmes ses prescriptions à la lettre et posâmes le scellé sur la porte. Il y est resté depuis. Ma mère, bien que condamnée par les médecins, survécut cinq ans à la disparition de mon père. Elle avait le cœur très malade. Au cours des premiers mois, elle reçut de mon père deux lettres, timbrées de Paris, mais qui, je le répète, ne donnaient pas d’adresse. Toutes deux étaient courtes et disaient la même chose : elle le reverrait très vite et ne devait pas se chagriner. Puis, il y eut un silence, qui dura jusqu’à sa mort. Et alors m’arriva une lettre si particulière que je ne puis vous la montrer. Mon père me demandait de ne jamais mal le juger ; il me donnait beaucoup de bons avis ; il ajoutait que le scellé de la chambre avait maintenant moins d’importance que du vivant de ma mère ; que, cependant, on pouvait encore, en le brisant, faire de la peine à autrui, et qu’en conséquence, il valait mieux attendre jusqu’à ma vingt et unième année, ce délai devant aplanir bien des choses. En même temps, il me remettait la garde de la chambre scellée. Et vous comprenez dès lors que, tout en étant très pauvre, je ne puisse ni louer ni vendre cette grande maison.

— Vous pouvez l’hypothéquer.

— Mon père l’avait déjà fait.

— C’est une position singulière.

— Ma mère et moi, nous nous vîmes forcés peu à peu de vendre nos meubles et de congédier nos domestiques. De sorte qu’aujourd’hui, comme vous le voyez, je vis tout seul dans cette pièce. Mais je n’ai plus que deux mois à attendre.

— Que voulez-vous dire ?

— Dans deux mois, je serai majeur. Je commencerai par ouvrir cette porte. Puis je liquiderai la maison.

— Pourquoi votre père est-il resté à l’étranger quand il pouvait reprendre ses affaires ?

— Il devait être mort.

— Vous disiez qu’au point de vue légal il n’avait, en partant, aucune faute à se reprocher ?

— Aucune.

— Pourquoi n’emmena-t-il pas votre mère ?

— Je l’ignore.

— Pourquoi cacha-t-il son adresse ?

— Je l’ignore.

— Pourquoi laissa-t-il mourir votre mère et pourquoi la laissa-t-il enterrer sans revenir ?

— Je l’ignore.

— Mon cher Monsieur, si vous permettez que je vous parle avec la franchise d’un homme de métier, laissez-moi vous dire que, très certainement, votre père avait les meilleures raisons du monde pour ne pas rentrer dans son pays ; et que, si rien n’était prouvé contre lui, il craignait que quelque chose pût l’être, puisqu’il refusait de se mettre à la disposition de la loi. C’est l’évidence