Page:Doyle - Premières aventures de Sherlock Holmes, 1913.djvu/17

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— Non, mais il y en avait une qui m’appartenait tout de même, gémit le petit homme.

— Eh bien ! réclamez-la à Mme Oakshott.

— Elle m’a dit de vous la demander.

— Eh bien ! demandez-la au roi de Prusse, pour ce que je m’en fiche. J’en ai assez. Filez.

Et il s’avança furieux vers son interlocuteur, qui disparut dans l’obscurité.

— Ho ! Ho ! ceci peut nous éviter une visite à Brixton-road, murmura Holmes. Suivez-moi, et nous allons voir ce qu’il y a à tirer de cet individu.

Se faufilant à grands pas à travers les groupes de flâneurs, mon compagnon rejoignit vite le petit homme et le toucha à l’épaule. Celui-ci pivota rapidement sur lui-même et je remarquai qu’il était devenu blême.

— Qui êtes-vous donc, et que voulez-vous ? demanda-t-il d’une voix tremblante.

— Vous m’excuserez, dit Holmes mielleusement, mais je n’ai pu m’empêcher d’entendre les questions que vous avez faites tout à l’heure au marchand d’oies. Je crois pouvoir vous renseigner.

— Vous ! Qui êtes-vous, et comment pouvez-vous savoir quoi que ce soit de cette affaire ?

— Je m’appelle Sherlock Holmes et si je sais ce que d’autres ignorent, cela ne vous regarde pas.

— Mais vous ne savez rien de ceci.

— Excusez-moi, je sais tout. Vous cherchez à retrouver ce que sont devenues quelques oies vendues, par Mme Oakshott, de Brixton road, à un marchand nommé Breckinridge, par lui ensuite à M. Windigate, de l’Alpha, et par lui, à son tour, au comité dont fait partie M. Henry Baker.

— Oh ! monsieur ! vous êtes précisément l’individu que je cherche, s’écria le petit homme, en agitant fiévreusement les mains. Je ne puis vous dire combien cette affaire me tient à cœur.

Sherlock Holmes héla un fiacre qui passait.

— Dans ce cas nous ferons mieux de discuter dans une bonne pièce confortable, plutôt que dans ce marché ouvert à tous les vents, objecta Sherlock Holmes. Mais je vous en prie, dites-moi, avant d’aller plus loin, qui j’ai le plaisir de renseigner.

L’homme hésita un instant.

— Je m’appelle John Robinson, répondit-il en jetant un regard de côté.

— Non, non, votre vrai nom, dit Holmes aimablement. C’est toujours gênant de s’occuper d’une affaire sous un faux nom.

Le sang afflua aux joues blafardes de l’étranger.

— Eh bien ! alors, dit-il, mon vrai nom est James Ryder.

— Précisément, premier maître d’hôtel à l’hôtel Cosmopolitain. Entrez dans le fiacre, je vous prie, et je vous dirai bientôt tout ce que vous désirez savoir.

Le petit homme était là immobile, jetant des regards obliques à chacun de nous avec des yeux où on pouvait lire tour à tour l’effroi et l’espoir. Il me faisait l’effet de quelqu’un qui ne sait pas s’il doit s’attendre à une aubaine ou à une catastrophe. Il se décida enfin à monter dans le fiacre. Une demi-heure après, nous étions revenus dans le salon de Baker Street. Nous n’avions pas proféré une parole pendant le trajet ; mais la respiration bruyante et courte de notre nouveau compagnon et la manière dont il croisait et décroisait ses mains, prouvaient combien ses nerfs étaient tendus.

— Nous voici arrivés, dit Holmes gaiement, comme nous entrions dans le salon. Le feu est bien de saison aujourd’hui. Vous avez l’air gelé, monsieur Ryder. Je vous en prie, prenez ce siège d’osier. Je vais, si vous le permettez, mettre mes pantoufles avant de m’occuper de votre petite affaire. Allons, je suis à vous maintenant. Vous voulez savoir ce que sont devenues les oies ?

— Oui, monsieur.

— Ou plutôt, je suppose, cette oie. Je pense que vous vous intéressez à un de ces volatiles particulièrement, une oie blanche avec une ligne noire en travers de la queue.

Ryder tremblait d’émotion.

— Oh ! monsieur, cria-t-il, pouvez-vous me dire ce qu’elle est devenue ?

— Je l’ai ici même.

— Ici ?