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Page:Doyle - Premières aventures de Sherlock Holmes, 1913.djvu/19

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de moi ! cria-t-il. Pensez à mon père, à ma mère. Cela leur briserait le cœur. Je n’ai encore jamais fait de mal. Je vous jure de ne pas recommencer. Je le jure sur la Bible. Je vous en supplie, ne me traduisez pas devant les tribunaux. Pour l’amour du Christ, ne le faites pas.

— Rasseyez-vous, dit Holmes sévèrement. Il vous sied de faire tout à coup le chien couchant et de ramper, lorsque vous n’avez pas eu une pensée pour ce pauvre Horner qui est au banc des accusés pour un crime dont il n’est nullement coupable.

— Je fuirai, monsieur Holmes. Je quitterai le pays. Alors l’accusation portée contre lui tombera d’elle-même.

— Hum ! nous en reparlerons. Et maintenant je veux entendre le récit vrai du fait suivant : comment la pierre a-t-elle été avalée par une oie ? et comment cette oie a-t-elle été apportée au marché ? Dites la vérité, c’est votre seule planche de salut.

Ryder passa sa langue sur ses lèvres desséchées.

— Je vais vous raconter la chose telle qu’elle s’est passée, monsieur, dit-il.

« Lorsque Horner eut été arrêté, il me sembla préférable de me débarrasser de la pierre sur l’heure, car je ne savais pas à quel moment la police aurait l’idée de faire une enquête sur moi et dans ma chambre. Il n’y avait aucun endroit sûr dans l’hôtel. Je sortis sous prétexte de faire une commission et j’allai chez ma sœur. Elle a épousé un homme nommé Oakshott et demeure à Brixton road où elle engraisse des oies pour les vendre au marché. Tout le long du chemin, les hommes que je rencontrais me semblaient être des agents de police ou des détectives et, quoique la nuit fût froide, les gouttes de sueur perlaient sur mon front. Ma sœur me demanda pourquoi j’étais si pâle ; je lui dis que j’avais été bouleversé par un vol de bijoux à l’hôtel. Puis j’allai dans la cour derrière la maison et, tout en fumant une pipe, je cherchai à quel parti m’arrêter.

« J’ai eu autrefois pour ami un nommé Maudsley qui a mal tourné depuis, et qui vient de faire de la prison à Pentonville. Je l’avais rencontré un jour et nous avions parlé par hasard des trucs des filous et de la manière dont ils savent se débarrasser de ce qu’ils ont volé. Je savais que je pouvais avoir confiance en lui, car j’étais au courant d’une ou deux de ses histoires ; je me décidai donc à aller le trouver chez lui, à Hilburn, et à lui demander conseil, convaincu qu’il me dirait le moyen de faire de l’argent avec ce bijou précieux. Mais comment arriver chez lui sans encombre ? Car enfin j’avais sué sang et eau pour venir de l’hôtel chez ma sœur. À tout instant je pouvais être pris par la police et fouillé. Or la pierre se trouvait dans la poche de mon gilet ! J’en étais à ce moment de mes réflexions, appuyé contre le mur et regardant distraitement les oies qui se dandinaient autour de moi, lorsqu’il me vint une idée qui devait me permettre de damer le pion au meilleur détective.

« Ma sœur m’avait dit quelques semaines auparavant que je pouvais me choisir une oie, pour Noël, parmi les siennes, et je savais qu’elle tenait toujours parole. Je n’avais donc qu’à prendre mon oie maintenant et en lui faisant avaler ma pierre, je pourrais me transporter sans danger à Hilburn. Il y avait un petit abri dans la cour, derrière lequel j’emmenai un des volatiles que j’avais choisi parmi les plus gros. Il était blanc avec une queue traversée d’une raie noire. Je le saisis et lui ouvrant le bec je lui introduisis la pierre dans le gosier, aussi loin que mon doigt put atteindre L’oiseau eut un soubresaut et je sentis la pierre qui descendait dans son jabot ; mais à ce moment l’animal se mit à battre des ailes et ma sœur, attirée par le bruit, arriva dans la cour. Je me retournai pour lui parler, et pendant ce temps-là l’oie m’échappa et se mêla aux autres.

— Qu’est-ce que tu faisais donc à cette bête, Jacques ? dit-elle.

— Ne m’as-tu pas promis une oie pour Noël ? Je les palpais pour tâcher de choisir la plus grosse.

— Oh ! répondit-elle, nous avons mis la tienne de côté ; nous l’appelons l’oiseau de Jacques. C’est la grosse blanche que tu vois là-bas. Il y en a vingt-six : une pour toi, une pour nous et deux douzaines pour le marché.