Page:Doyle - Premières aventures de Sherlock Holmes, 1913.djvu/93

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Deux fois, je l’ai vu tout à fait ivre.

À onze heures, le lendemain, nous approchions de la vieille cité anglaise. Holmes avait commencé par s’absorber dans la lecture des journaux du matin, mais quand nous fûmes entrés dans le Hampshire, il les jeta et se mit à admirer le paysage. C’était une journée idéale de printemps ; un ciel d’un bleu léger, tacheté de petits nuages blancs floconneux qui dérivaient de l’ouest à l’est. Le soleil brillait gaiement, mais il y avait dans l’air une pointe de fraîcheur qui pinçait et énervait. Par tout le pays, jusqu’aux collines arrondies des environs d’Aldershot, les petits toits rouges et gris des bâtiments de fermes émergeaient de la verdure pâle, à peine éclose.

— Est-ce assez frais et ravissant ? » m’écriai-je avec tout l’enthousiasme d’un homme échappé des brouillards de Baker street.

Mais Holmes secouait la tête gravement.

— Voyez-vous, Watson, c’est un des malheurs d’un cerveau conformé comme le mien, de ne pouvoir rien regarder sans le rapporter à ma spécialité. Vous voyez ces maisons dispersées et vous êtes frappé par leur pittoresque. Je les regarde, moi, et la seule pensée qui me vienne est celle de leur isolement et de l’impunité avec laquelle des crimes peuvent y être commis.

— Grand Dieu ! m’écriai-je. Qui peut parler de crime dans ces vieilles demeures qui exhalent un charme indéfinissable ?

— Elles me remplissent toujours d’un certain effroi. C’est ma conviction, Watson, et elle est fondée sur l’expérience, que les recoins les plus noirs et les plus vils de Londres n’ont pas plus de péchés sur la conscience que la campagne la plus souriante et la plus belle.

— Vous m’effrayez !

— Et la raison en est évidente. La pression de l’opinion publique peut faire dans les villes ce que la loi seule est impuissante à obtenir. Il n’y a pas de ruelle si perdue soit-elle où le cri d’un enfant torturé, le bruit des coups donnés par un ivrogne n’excitent la sympathie et l’indi-